Est-il possible d’organiser un événement d’essence culturelle en cette période troublée sans se préoccuper de l’actualité du monde ? À l’évidence non. Notre Festival – un « notre » qui souhaite englober tous les acteurs du 9e art – a la volonté de s’inscrire dans le contexte « du réel ». En donnant à voir « les grandes » et « les petites » histoires de la bande dessinée, il laisse à chacun le choix de venir chercher un éclairage sur le monde et sur le sens de l’existence ou de trouver, tout simplement, un moyen de se distraire pour échapper à ses contingences. Pour nous, ces deux approches de la bande dessinée peuvent être tout aussi respectables. Elles se conjuguent d’ailleurs parfois avec bonheur et de plus en plus de lecteurs passent d’un registre à l’autre en de constants allers et retours. Après tout, nous sommes tous ainsi faits que nous ne pouvons pas toujours évoluer dans « le grave » et « l’existentiel ». Il est clair que, grâce à la richesse de ses talents et de sa création, la bande dessinée contemporaine, dont le Festival a l’ambition chaque année de donner une sorte de photographie instantanée, réussit à la fois à ne pas renier ses origines - emporter les lecteurs vers des rives imaginaires - et à nous parler de notre vie, de nos sociétés. Nous savons depuis longtemps que les petites histoires distrayantes de qualité disent toujours de grandes choses ; n’est-ce pas Mafalda, Snoopy, Titeuf ou Akira ? Nous savons aussi que des oeuvres ambitieuses du 9e art ont marqué l’existence de millions d’entre nous en les aidant à vivre. Les unes et les autres sont en fait proches, toutes proches de la seule histoire qui compte : celle des êtres. Nous avons besoin d’elles, aujourd’hui plus que jamais, en ces temps compliqués et diffi ciles. Franck Bondoux Délégué général © Lewis Trondheim
La bande dessinée, un art de son siècle, un art dans son siècle De l’importance de défendre et promouvoir une bande dessinée enracinée dans les problématiques du réel contemporain, comme le rappelle Benoît Mouchart, directeur artistique du Festival.
La programmation du Festival est particulièrement internationale et éclectique cette année. Cette impressionnante diversité est une occasion de rappeler à quel point l’impact de ce moyen d’expression est universel, à quel point aussi la narration graphique est moderne et pertinente. Benoît Mouchart : C’est en effet une idée de la bande dessinée à laquelle le Festival d’Angoulême est attaché depuis fort longtemps. Une idée élevée, particulièrement qualitative ; la bande dessinée est pratiquée et lue partout dans le monde, quelles que soient les formes plus ou moins particulières qu’elle emprunte localement, et partout elle suscite une adhésion massive, un engouement qui ne se dément pas. Cela tient bien sûr à l’universalité du langage qu’elle mobilise, le langage des images, mais cela tient aussi, nous en sommes persuadés, à l’acuité du regard que portent ses auteurs sur leur environnement, d’où qu’ils soient et quelle que puisse être leur culture d’appartenance. En plus de 35 ans d’existence, et dès ses origines, le Festival n’a jamais cessé de défendre ce que j’appelle cette politique d’auteur — pensons aux tout premiers artistes qu’il a choisi de couronner, Hugo Pratt, Will Eisner, Jijé, André Franquin, Moebius… —, afi n de valoriser la puissance et l’originalité artistiques de ce mode d’expression. La bande dessinée, nous le savons bien aujourd’hui, ne parle pas que de choses ludiques et futiles, comme on a longtemps tenté de le faire croire, mais aussi du monde et du présent dans lequel nous vivons, si tragique soit-il parfois.
Dans ce domaine, là encore, la diversité des regards d’auteur pour « dire le monde » est remarquable… Benoît Mouchart : Pardon de rappeler ce qui est peut-être un constat d’évidence, mais une case de bande dessinée est toujours une fenêtre ouverte sur le monde. C’est vrai de la bande dessinée telle que nous la pratiquons en Occident, mais c’est tout aussi vrai aussi des traditions asiatiques par exemple, « mangas » japonais ou « manhwas » coréens, auxquelles nous donnerons une visibilité particulière cette année. Dans un registre tout à fait différent, une série populaire et familiale comme « Boule et Bill » – à laquelle nous consacrons une exposition dans le cadre de son cinquantième anniversaire – dit également quelque chose du monde qui nous entoure et du moment que nous vivons. Même les grandes sagas d’« heroic fantasy », en apparence les plus éloignées de notre quotidien, sont aussi, pour leurs auteurs, une manière de prendre la parole à propos du monde qui est le nôtre. C’est ce qui fait l’universalité du medium bande dessinée ; une forme d’art susceptible de toucher absolument tous les publics, y compris et peutêtre surtout les non-spécialistes. Il n’est pas nécessaire d’être bédéphile pour lire et apprécier « Persépolis » de Marjane Satrapi, qui donne à voir une peinture intime de l’Iran des années 80. De la même manière, tout un chacun peut lire ou relire « Le goût du chlore » de Bastien Vivès, car tout un chacun est déjà tombé amoureux… © Lewis Trondheim
Cette notion de l’intime vous tient beaucoup à coeur… Benoît Mouchart : Oui, parce que là encore, la bande dessinée de l’intime, de l’introspection, de la voix « off », ou quel que soit le nom qu’on veut lui donner, prend toujours une résonance universelle. Regardez Shaun Tan en Australie, l’Italien Gipi, Rutu Modan en Israël ou Shigeru Mizuki au Japon, pour ne citer que quelques-uns des grands auteurs étrangers que nous avons distingués ces dernières années. Tous, dans leurs histoires, proposent des récits éminemment personnels, souvent fortement marqués par leur culture d’origine, qui n’en acquièrent pas moins une réelle universalité. Raconter une histoire sur le mode de l’intime est toujours, fût-ce de manière allusive ou détournée, une tentative pour déchiffrer la complexité du monde. C’est de cette manière qu’il faut comprendre le « casting » que nous proposons par exemple dans le cadre des Rencontres internationales. Au-delà de leur actualité personnelle, les auteurs que nous convions à participer à ces Rencontres – Daniel Clowes, Chris Ware, Adrian Tomine, Melinda Gebbie, Posy Simmonds, Marjane Satrapi, Karlien De Villiers, etc. – ne sont évidemment pas là par hasard. Tous, dans leurs oeuvres, questionnent le réel et le présent.
La prise en compte de cette diversité planétaire de la bande dessinée ne passe plus, comme cela a parfois été le cas naguère au Festival, par une invitation formelle adressée à tel ou tel pays. Benoît Mouchart : Sans vouloir heurter personne, je pense que le fait de privilégier un « pays invité », quelle que soit sa taille et son importance au regard de l’histoire du genre qui nous occupe, est un peu une facilité de programmation. Il y a plusieurs années déjà que nous avons abandonné cette manière de faire. Ce que nous cherchons à privilégier aujourd’hui, c’est une représentation de la bande dessinée qui soit à la fois internationale et plurielle. Le Festival d’Angoulême joue dans une cour qui est vaste comme le monde et, dans un tel contexte, nous voulons absolument restituer à la bande dessinée la dimension qui est naturellement la sienne depuis ses origines , une dimension planétaire.
Le souci du Festival de donner à voir les bandes dessinées du monde dans toutes leurs incarnations conduit aussi à mettre en lumière les nouveaux supports technologiques sur lesquels elles sont diffusées — Internet, téléphonie mobile, etc. Benoît Mouchart : Oui, et cela ne fera évidemment que s’accentuer à l’avenir. À mes yeux, c’est une chance et un atout pour nous tous, auteurs, éditeurs, médias et professionnels de la bande dessinée. Il ne faut surtout pas avoir peur de la technologie. Historiquement, la bande dessinée s’est développée grâce aux possibilités techniques des « mass media », qui étaient de grandes nouveautés à l’époque de son essor. Toutes proportions gardées, nous sommes aujourd’hui dans une confi guration similaire. Et personnellement, je suis très impatient de voir de quelle manière les auteurs, les artistes, vont s’emparer des innovations technologiques qui leur deviennent accessibles aujourd’hui grâce au Net et aux industries qui en accompagnent le développement.
Le Comité de sélection défi nit : Les Prix 2009 Dix prix de référence, les Essentiels, pour couronner le meilleur de la bande dessinée. Composé de 10 Prix dénommés les « Essentiels », le Palmarès Offi ciel du Festival international de la bande dessinée sera décerné à Angoulême le dimanche 1er février 2009, dernier jour de la 36e édition du Festival. Il récompensera des albums publiés entre décembre 2007 et novembre 2008 en langue française, quels que soient leurs pays d’origine. Ces Essentiels seront attribués par plusieurs jurys, et désignés par ces jurys au sein de trois listes spécifi ques d’ouvrages présélectionnés, listes établies au fi l de l’année 2008 par un Comité de sélection réuni par le Festival. Ces trois sélections réunissent l’ensemble des albums en compétition, soit un total de 84 livres.
Les albums en compétition • La Sélection Offi cielle : elle compte cette année 56 albums en compétition. Le Grand Jury attribuera, au sein de cette Sélection Offi cielle, sept Essentiels : • le Meilleur Album – Fauve d’Or • 5 Essentiels • l’Essentiel Révélation, qui distingue l’oeuvre d’un auteur en début de parcours artistique Par ailleurs, le public élira, au sein de cette Sélection Offi cielle, son oeuvre préférée, qui se verra attribuer l’Essentiel Fnac - SNCF (pour plus de détails sur le processus d’élection de l’Essentiel Fnac - SNCF, voir par ailleurs dans ce dossier la fi che consacrée au partenariat avec la Fnac et la SNCF). • La Sélection Patrimoine : elle compte cette année 8 albums en compétition. Le Grand Jury attribuera, au sein de cette Sélection Patrimoine, l’Essentiel Patrimoine. • La Sélection Jeunesse : elle compte cette année 20 albums en compétition. Un jury d’enfants âgés de 9 à 14 ans attribuera, au sein de cette Sélection Jeunesse, l’Essentiel Jeunesse.
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